Entre-temps, la guerre a commencé.
Nous nous sommes donc retrouvé dans les parking, les cuisines des restaurants, les immeubles.
Dans les escaliers de notre immeuble aussi, évidement.
C'est toujours la même chose.
Sirènes.
Boum. Boum. Boum.
"Bouim" disent les israéliens.
Chez le cardiologue, Chéri se protège dans les escaliers avec tous les cardiaques réunis.
Chez le médecin de famille, il a commencé la consultation dans la pièce sécurisée.
On entend des "Bouim" même quand il n'y en a pas.
Un camion dont on ferme la porte violemment, une casserole qui tombe, ...
A Tel Aviv, j'ai les clés du magasin dans la poche.
Sirènes. Je ferme. J'emmène les clients dans l'immeuble où se trouve la pièce sécurisée.
Boum. Boum. Boum.
Ce qui est fou, c'est que tout le monde laisse tout sur place.
On quitte le resto, le supermarché, et puis on revient pour payer.
La première séance de chimio de Chéri s'est faite en deux fois.
Premier jour immunothérapie. Deuxième jour, chimio.
Nous arrivons tôt, à Tel Aviv.
Nous avons changé d’hôpital et de médecin.
Il garde son "trol" pour le moment.
Dans la salle, des fauteuils alignés, et déjà des habitués.
Chéri est attendu.
On lui explique tout ce qu'on va lui faire.
Il dit "oui" à tout, en me regardant un peu perdu.
Une infirmière au doux nom d'Alefina, Ala pour les intime, le pique doucement.
Des malades arrivent au compte goutte.
Certains viennent depuis longtemps.
Je papote avec une jolie femme à côté de Chéri et je lui dis qu'il est très inquiet de perdre ses cheveux.
Elle le regarde tout sourire et lui dit qu'un homme séduisant, reste séduisant, même sans cheveux !
Je peux pas le laisser seul deux minutes celui-là !
Il y a une dizaine de fauteuils dans la pièce et deux fois plus de visiteurs.
Si les malades sont la plupart du temps calme, voire carrément à la masse, les accompagnants sont bruyants.
Les téléphones sonnent.
Et comme si ça ne suffisait pas, on met le haut-parleur.
"Tu es où ?"
"Je suis avec papa. Liora est là aussi."
"Ah bon ? Liora est là aussi ? Elle ne travaille pas ?"
"Non, elle a pris congé."
"Comment va papa? "
...
Ils viennent à deux ou à trois, créant une chaîne de soutien.
Le malade s'en passerait sûrement, et nous encore plus.
Et, comme partout ailleurs, ils commencent par lui demander comment il va, pour continuer sur leur propre mauvaise expérience de toute une vie de bobos.
Il y en a une qui raconte pour tout l'étage, qu'elle, quand elle a été soignée à l'hopital de Beersheva, même le pq elle a du l'apporter, tu te rends compte ?
Des bénévoles arrivent avec un chariot rempli de jolis sandwichs et des boissons.
Elles ont 230 ans à elles trois.
Pleines de bonne volonté bien qu'un peu surannées, elles demandent à chacun s'il est malade.
Car, bien que les accompagnants aient faim, ces sandwichs sont destinés aux malades.
L'une des trois grâces va demander quatre fois à mon voisin s'il est malade, de quoi lui porter la scoumoune, et quatre fois il répondra non.
Elle lui rétorquera à chaque fois alors, que les malades passent d'abord.
A ma gauche, un couple dans la soixantaine.
Elle demande au monsieur s'il est malade et il dit oui avec un grand sourire.
Tu veux du thé ou du café ?
Du café dit-il.
En même temps que sa femme dit du thé.
Tu ne peux pas boire du café, tu le sais.
Elle explique à la bénévole qu'il ne peut pas boire de café et que ce sera un thé.
La bénévole regarde Pépère et lui repose la question magique.
Café ou thé ?
Et Papy de répondre, l’œil amusé, café!
Le pépé s'amuse comme un fou, et moi aussi !
Le lendemain, chimio.
D'autres malades, et Chéri.
Bonjour, bonjour et bonjour.
Défilé de familles, amis et voisins.
Chacun veut apporter son aide au malade.
Ils arrivent avec des courses, "Tu as froid ? ", "Tu as soif ? ", "Tu veux un coussin ? "
Chéri s'est endormi et je descends prendre l'air.
Les bancs fumeurs sont en face des bancs non fumeurs.
Ça suffit pour que certain mélangent leur droite et leur gauche.
Je m'éloigne et suis agressée par une folle qui règle ses comptes de famille au téléphone.
Je suis certaine que même à la morgue, ils sont encore en ligne.
Je remonte et je suis à peine arrivée qu'on entend les sirènes.
Tous dans la pièce sécurisée avec les cathéters, les chaises roulantes, ...
Tous sauf Chéri. Il a interdiction de bouger.
Alors "son"infirmière, comme il l'appelle, Ala, reste près de lui.