Qu'est-ce que j'apprends ?
Plusieurs "centaines d'olim francophones" sont attendus en grande pompe le 22 juillet ?
Qui m'a accueillie, moi, en grande pompe le 1er septembre 2008 à 00h45 ?
Grande pompe, hein, avec personnalités politiques et religieuses.
Discours de bienvenue et ponch casher.
"Après une bonne nuit de sommeil dans un hôtel de Jérusalem, ces nouveaux émigrants pourront exécuter sur place, sans aucune difficultés, les démarches administratives"... (source, Le Ptit
Hebdo.)
Je suis arrivée toute seule.
Et très inquiète ...de ne pas trouver un téléphone.
En effet, la dame de l'agence juive à Bruxelles qui est tout sauf ... efficace (c'est le moins qu'on puisse dire), m'a prévenue : "Quand vous arriverez à l'aéroport, à un moment (?), il y a une
pente..."
Hu hu !
" En bas de cette pente, vous arrivez au contrôle des passeports. Vous n'y allez pas !"
Hu hu !
" Sur votre gauche, vous trouverez un téléphone. Vous décrochez, et...vous serez attendue ! "
Voilà exactement le truc con qui angoisse !
Et si je loupe le téléphone ? Si il n'y a PLUS de téléphone ? Plus de pente ? Plus d'aéroport ?
Bon j'arrête.
Donc, je trouve le téléphone. (Oui, oui.)
Il n'y a pas de cadran, juste un cornet et je décroche.
Un homme fait " allo? " et je me présente, puisque je suis attendue.
Normal quoi.
Et le gars me demande où je suis.
! ...
Je lui répond que je suis au téléphone !
Par qui donc suis-je attendue ?
Il est venu me chercher.
Un mec anonyme, un employé de l'aéroport ou du ministère de l'intérieur.
J'ai suivi de longs couloirs sinistres et vides que je n'aurai plus jamais l'occasion de parcourir et j'arrive dans un bureau où il me dit d'attendre.
Pas de ponch, ni de thé.
Pas de petit biscuits.
Pas de rabbin venu me bénir.
Pas de 36ème ministre venu me féliciter.
Et pas de musique non plus.
Rien.
Après un demi-heure d'attente et de masturbation mentale...(ben oui, où sont mes valises ? Qui s'occupe de mes valises ? Elles sont arrivées mes valises ?), une israélienne venue il y a 20 ans
d'Ukraine s'occupe enfin de moi.
Elle me fait remplir l'équivalent de la moitié de la forêt équatoriale.
Et retape tout sur son ordinateur.
(Les israéliens adorent la paperasse, à tel point qu'ils perdent régulièrement vos documents, pour que vous vous empressiez de participer à la déforestation galopante, en devant fournir des
duplicata.)
Elle me remet le numéro de ma future carte d'identité.
Grande émotion !
Que je ne peux partager avec personne, et encore moins avec la dame blasée en face de moi.
Vital, ce numéro, car on vous le demande à tout bout de champs ici, et très vite on l'apprend par coeur.
Elle me conseille vivement d'aller le lendemain au ministère de l'intérieur de Tel Aviv, puisque c'est là que je vais loger.
Et me dit qu'on va chercher mes bagages.
Ah chouette mes deux valises !
Elles tournent depuis des heures comme des malheureuses et je me réjouis que quelqu'un ne les ait pas emportées, qu'elles ne soient pas déchirées, qu'elles sont là toutes les deux.
Je fais part de ma petite joie à mon accompagnatrice, mais elle n'a pas l'air concernée.
Un taxi m'est offert gracieusement pour m'emmener où je le désire et je suis conduite, non pas par le rebbe du village, mais bien par un russe (encore !) très mal léché et manifestement pas
content du tout de se coltiner la course, qui sera payée par le gouvernement ... un de ces jours.
Le lendemain je vais au ministère de l'intérieur et je découvre la joie des files.
Une en bas, pour passer le sas.
Une au milieu pour aller aux infos qui me donneront un ticket.
Une pour le rayon "cartes d'identité."
Deux heures d'attente.
J'arrive devant une russe...
Ben oui.
Les russes affectionnent particulièrement les boulots administratifs, où elles excellent dans la mauvaise foi ( elles ne parlent que l'hébreu (parfaitement), ou le russe), et où elles prennent un
pouvoir qu'elles n'ont sans doute plus une fois rentrées chez elles.
Ce sont des vrais matrones.
Et ma charmante voisine de Modiin, arrivée elle aussi d'Ukraine il y a 19 ans, me dit qu'en Russie, elles étaient aussi peu aimables et rustres.
Comme quoi, immigration rime aussi avec importation.
Bref, la mienne m'annonce que je n'apparaîs nulle part.
Pourtant j'aurais pensé qu'avec l'informatique...
Je lui dis que je suis arrivée la veille et ça la rassure.
Elle me répond que je ne serai pas " dans l'ordinateur " avant une semaine.
Faut revenir.
Au suivant.
On m'a bien précisé que je dois ouvrir un compte en banque, et m'inscrire à une mutuelle.
Sans CI, pas de compte en banque et sans compte en banque, pas de mutuelle.
Si je veux commencer mes cours d'hébreu à l'oulpan, il me faut un compte.
Et une CI.
Je respire.
La vie est belle et il y a la plage.
Même si toujours pas d'homme politique pour me transmettre ses encouragements et encore moins de rabbin pour me soutenir dans mes pérégrinations.
Sans oublier les centaines de olim avec qui j'aurais pu souffler, trépigner et râler.
Ah non, j'oubliais, eux vont faire "ça" en toute tranquillité.
L'avantage du groupe !
Car il faut savoir que l'israélien sait tout.
Mieux.
Même quand je leur met sous le nez le prospectus à l'attention du nouvel émigrant qui dit qu'il faut d'abord aller payer à la poste et puis s'inscrire à la mutuelle... la fille au guichet de la
poste dit non, non.
Je retourne faire la file pour la deuxième fois à la mutuelle, après avoir fait la file à la poste...et on me remballe à la poste.
A la poste, après avoir fait la file, une autre fille me dit non, non.
Et là je lui dit très gentiment que je ne bougerai pas de là jusqu'à ce que je puisse payer, comme c'est écrit dans mon fascicule.
Et j'ai payé.
Et je suis retournée à la mutuelle.
Si j'avais eu un ministre, un plouc quelconque avec un badge officiel pour m'accompagner, il aurait sûrement pu accélérer les choses et se serait rendu compte, en plus, de la galère dans laquelle
navigue le nouvel émigrant.
Ceci dit, il y a presque un an, je me suis débrouillée comme un chef, toute seule, et je ne dois rien à personne.
J'ai pu immédiatement me mettre à l'hébreu intensif, gueuler comme une israélienne, négocier comme une israélienne,apprendre très vite les mots essentiels à mon intégration et aujourd'hui, le plus
beau compliment que l'on puisse me faire c'est " toi, tu es une vrai israélienne ! ",
Là où on me reprochait, avant, dans une autre vie, ma grande gueule.
A bon entendeur !